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A L'ATELIER DE SAMUEL AIWERIOGHENE

Conversation avec l'artiste, juillet 2023

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Mathilde Le Coz - Tu es un peintre autodidacte mais tu viens d'une industrie créative. Tu peux m’expliquer comment tu en es venu à la peinture ? As tu eu le sentiment d'avoir atteint une limite à ta créativité dans l'industrie de la mode ? 

 

Samuel Aiwerioghene - Je n'ai pas senti la partie créativité s'arrêter dans mon autre industrie. Il y a encore beaucoup de choses qui m'inspirent dans cette industrie, mais j'ai toujours senti que je n'avais pas le droit de m’exprimer d’une certaine façon. Je ne dis pas que l'industrie de la mode n'est pas une industrie personnelle, elle peut l'être. Mais je voulais un autre médium où je puisse m'exprimer plus directement. J'ai toujours cherché ça. Quand j'ai commencé à peindre, ça me semblait juste, on pouvait dire ce qu'on voulait dire, plus directement. 

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MLC - Même si tu as commencé assez récemment, il y a un drastique changement d'ambiance entre ton travail précédent et cette nouvelle série. Tes premières œuvres étaient plus narratives : pourquoi supprimer les arrière-plans, les marqueurs spatio-temporels et tout signe de contexte ? 

 

SA - Mes premières peintures étaient plus proche de ce que je fais maintenant. L'accent était mis sur l'expression directe d'un individu auquel je pensais, une expression que j'avais déjà vue, ressentie ou que quelqu'un avait ressenti autour de moi. Ensuite, j'ai progressé un peu et j'ai commencé à ajouter un récit, une histoire, un arrière-plan. Maintenant, je reviens à ce avec quoi j’ai commencé. J'aime une image simple. J'aime pouvoir parler d'une émotion, sans distraction. J'essaie de ne pas cacher les choses. Le mouvement est dorénavant arrivé, il me permet d’augmenter cette expression. Pouvoir parler en une image simple, c'est le but de chaque peinture que je fais. 

 

MLC - Dans plusieurs de tes toiles il y a le même visage, le même personnage récurrent, pourquoi ? 

 

SA - Ça a toujours été comme ça. Je ne peux peindre que si j'ai une image précise en tête, une personne précise, une identité précise, que je combine avec une émotion. Je me vois beaucoup dans un tableau mais j'ai aussi l'impression d'y voir beaucoup d'autres personnes en même temps. C'est un sentiment que j'ai eu et que je sais que beaucoup de gens ont aussi eu. Je ne peux puiser que dans ma propre expérience et je peins un personnage qui a ce même sentiment.

 

MLC - Et souvent ce personnage regarde en dehors du tableau… 

 

SA - Très souvent. Cela vient de ce sentiment de ne pas se sentir à sa place pendant une période de temps, un moment où tu sens que tu es le seul à avoir cette émotion, ce sentiment d'être seul mais sans être seul, de se sentir différent, isolé. C'est pourquoi il y a un personnage regardant à l'extérieur, ressentant quelque chose d'autre, différent des autres personnages de l'image. Je suis fasciné par les gens et la vraie vie. Une façon directe de communiquer, pour moi, c'est à travers une peinture où j'ai un contact avec un individu dans la peinture. 

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MLC - Toutes tes peintures sont centrées sur le corps masculin avec un côté très performatif : des corps qui se battent par exemple, des postures qui peuvent être associées à la danse ou au théâtre. Tu montres ce qu'est un corps masculin, tu peux me parler de ce corps ?

 

SA - Tout d'abord, le corps masculin lui-même et son idée, la chair humaine, est le stade le plus pur dans lequel vous pouvez être. Dernièrement, j'ai été attiré par cette idée de vulnérabilité. Pour moi, le mouvement, la chair du corps, engage encore plus le spectateur. Une façon de bouger peut en dire plus qu'une expression faciale. Je l'utilise pour appuyer cette expression ou ce sentiment et le rendre encore plus évident. À la recherche d'une expression pure, j'ai parfois besoin de mettre de côté tout ce qui distrait de cette expression. C'est ce que le corps humain signifie pour moi en ce moment. 

 

MLC - Il y a quelque chose de l’ordre de la masculinité, la virilité : tes personnages sont souvent en position de lutte, les muscles tendus…

 

SA - La figure humaine masculine m'intéresse. Pour moi, cela ajoute une dimension de réalité :  c'est ce à quoi ressemble le corps masculin. Mais bien sûr, il y a ce ton sous-jacent. Le corps viril masculin fonctionne comme une armure (le tissu est aussi une armure, un moyen de communiquer ce que vous ressentez). J'essaie de dépeindre cette personne esthétiquement plaisante tout en révélant le sentiment qui l’accompagne, celui de ne pas appartenir, de ne pas se sentir en sécurité. Il s'agit du contraste.

 

MLC - Pourquoi as-tu commencé à utiliser l'expression « Man See Blue » pour parler de ton travail ? C’est une expression que l’on retrouve aussi dans tes titres… 

 

SA - Je jouais avec une expression dans mes peintures, une expression intense très spécifique et j'avais besoin d'un nom pour la décrire. “Man See Blue" est venu comme une nécessité pour moi, celle de m’expliquer ce dont mes tableaux parlaient. C’est un sentiment, celui de se sentir déprimé, différent, celui d'être parfois entouré de gens sans être compris. 

 

MLC - Tu peux me parler de ton processus quand tu travailles ? 

 

SA - J'ai appris la peinture auprès de personnes qui avaient des expressions faciales que je trouvais intéressantes. J'ai appris en les regardant, en étudiant très longtemps leur visage, le nez, les lèvres. Je travaille à partir de photos que j'ai prises, d’images que j'ai trouvées dans des livres, en ligne, tirées de films, des choses que j'ai lues ou vues. Je les utilise dans différents contextes, en les combinant. Mes peintures peuvent être différentes images en une seule. Et parfois, c'est juste quelque chose à laquelle je pense sur le moment. Quand il s'agit d'une toile, je dessine directement dessus et je commence à peindre souvent immédiatement. 

 

MLC- Et tes références ? 

 

Je regarde principalement la photographie et les films. J'aime passer beaucoup de temps à parcourir mes photos, à chercher sur Internet d'anciennes captures d'écran de films pour trouver une attitude spécifique. Mes références sont en quelque sorte la vie quotidienne, un moment, une attitude dont je suis témoin dans la rue. Je considère les peintures comme quelque chose de collectif dans un certain sens – que j'ai construit à partir de nombreuses pensées. Je n’essaie pas de tout réaliser en un seul travail. Ce qui m'inspire lorsque je peins, c'est le dialogue entre les œuvres... Et la musique. J'ai besoin d'écouter de la musique pour pouvoir peindre. J'écoute surtout du jazz quand je peins - Miles Davis, est un de mes héros. Mais cela peut varier. La musique donne toujours le ton pour moi.

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