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A L'ATELIER DE VICTOR PUŠ-PERCHAUD

Conversation avec l'artiste, juillet 2023

Portrait, Victor Puš-Perchaud.jpg

Mathilde Le Coz - Dans tes peintures, on retrouve souvent le motif du miroir, un miroir parfois sans reflet qui questionne le sens même de la peinture définie comme “fenêtre ouverte sur le monde” . Cette fenêtre, tu la retournes vers toi celui qui peint mais aussi vers la personne qui regarde ton tableau - comment en es-tu venu à ce motif ? ​

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Victor Puš-Perchaud - C’est un motif qui est venu progressivement, surtout cette année. C’est d’abord un procédé intuitif pour faire des autoportraits. Et puis le miroir, dans une composition, crée un découpage, comme un collage dans le réel. Il permet d’ajouter différentes temporalités au sein d’une même image. Je l’utilise comme motif, comme une case de bande dessinée, où je peux placer un personnage, un corps. Il agit comme une fenêtre mais ne reflète pas uniquement le réel de manière naturaliste : il témoigne de quelque chose de l’ordre du mystérieux ou du fabuleux en fonction des choix de représentation. Les miroirs que je peins revêtent une forme d’opacité. Mats, ils ne renvoient progressivement plus à rien. Cela me permet d’évoquer un rapport à soi, de montrer une distance vis à vis de soi-même pour basculer dans quelque chose d’un peu plus auto-fictif. 

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MLC - A ton atelier, tu me disais que ton intériorité était un point de départ, une exploration nécéssaire, une première étape et que la peinture était un excellent médium pour rendre compte de ce vécu intérieur. Tu peux m’expliquer pourquoi ? 

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VPP - La peinture c’est très direct, il y a une instantanéité. Ce sont des matériaux qu’on touche, il y a quelque chose de régressif que j’aime. Elle enregistre tous les gestes, toutes les intentions, et tous les ressentis. C’est pour cette raison que j’essaye de toujours laisser une place à l’accident, à l’imprévu. 

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MLC - A côté de la peinture tu écris. Tu as d’ailleurs récemment présenté un recueil de poèmes avec tes tableaux lors de ton diplôme aux beaux-arts. Tu dirais que la peinture est plus à même d’exprimer cette intériorité ? 

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VPP - Avec la peinture j’essaie de créer un langage pictural par des rapports de formes et de couleurs. Avec la poésie c’est la même chose : je ne cherche pas un sens rationnel mais plutôt des rapprochements, des images produites avec des phrases très courtes. En peinture, je m’éloigne des mots dans ce qu’ils ont de rationnel pour être le plus possible pictural, et pour tenter d’exprimer un indicible. Et la toile, en sa qualité de surface sensible qui enregistre tout me permet d’exprimer ce qui s’accumule en moi. De l’intime j’essaye d’aller vers l’universel, de parler aux autres. 

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MLC J’aimerais revenir à ce miroir mais uniquement formellement, il te permet comme les encadrements de porte, de meuble ou les mises en abîme de construire et structurer ton espace pictural. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette fragmentation de l’espace ? 

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VPP- Le miroir permet de jouer avec une forme de narration, il me permet de séquencer mon image, de créer différentes temporalités, différents plans. C’est assez filmique - découper est un procédé pour scénariser - mais c’est un procédé qui est ici plus épuré, plus silencieux, comme des temps morts. Il y a une tension dans ces narrations, j’essaie d’y faire intervenir quelque chose de fabuleux et de mystérieux. C’est un procédé qui me vient de la bande dessinée, du manga en particulier - j’en ai écrit et réalisé. 

 

MLC - Tu peux me parler de cette influence du manga ? 

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VPP - J’ai une relation au dessin très forte - c’est important pour moi de dessiner les motifs du monde quotidien, de renvoyer à quelque chose, comme une porte d’entrée pour le regard du spectateur. Une des choses qui m’intéressent dans le manga, au delà de toutes les solutions graphiques ingénieuses qui y sont déployées, c’est le récit initiatique, adolescent, qui questionne l’existence, le comment vivre. Je pense au genre des nekketsus (Naruto, One Piece...) aussi bien qu’à Hayao Miyazaki ou Tetsuya Toyoda. Je les cite souvent dans mes toiles. J’admire beaucoup d’ailleurs le cinéaste Abbas Kiarostami qui, lui aussi, va créer des images poétiques et soulever des questions sur l’existence à travers ses personnages, avec une portée éducative. Comment se définir soi ? c’est une autre question qui m’intéresse : doit-on se définir par ses origines ou par les lieux où l’on vit ? Je pense qu’on est principalement ce qu’on a vécu. 

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MLC - Dans ton travail se dégagent deux grandes thématiques, celle du miroir et des intérieurs mais aussi celle des jardins - tu peux me parler du rapport entre ces deux thèmes ? 

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VPP - Cela découle des questions que je me pose sur la construction de l’identité, la quête de sens. Une des réponses que j’essaie de montrer en peinture, c’est “exister en prenant soin”. Et la nature domestiquée d’un jardin montre ce “prendre soin de quelque chose” dont parle Ryoji Kaji dans la série Evangelion. Le jardin est un endroit pacifique, lié au paradis. Mes choix graphiques sont au service des sensations que je veux transmettre avec la figuration. Le miroir est un procédé qui m’intéresse mais je ne veux pas non plus me cantonner à mon intériorité personnelle. Je m’utilise dans mes narrations au même titre qu’un personnage. C’est en ce sens que mon travail a un caractère auto-fictif. L’idée de l’auto-fiction c’est utiliser un vécu autobiographique comme matière première pour produire une fiction. C’est une manière de construire quelque chose qui parle du réel, sur le réel, de lui trouver une forme de sens. Et cette narration est liée au récit adolescent (coming-of-age story), dans lequel on retrouve une progression vers l’intérieur, la quête de soi. Des couleurs chaudes me permettent de traduire cette intensité. Avec la peinture, j’essaie de montrer une intériorité qui habite, qui prend soin et qui a une relation intime avec le monde et la nature. 

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MLC - Tu peux m’expliquer comment tu procèdes quand tu travailles ? 

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VPP - Je travaille à partir de notes photographiques et de dessins d’observation. Sur certaines toiles il m’arrive de travailler uniquement d’observation. Mes photos sont de mauvaise qualité en général et viennent de mon smartphone. J’aime le côté trivial qu’on peut trouver dans des photos « lo-fi » du quotidien. Je combine plusieurs de ces photos en dessinant, pour trouver une composition qui me plaise. Je n’ai pas une démarche photoréaliste où je reproduirais une photo pour elle-même. La photo est un procédé préparatoire - une note sur le réel - qui me permet d’avoir plus de signes à portée de main. 

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